L'ANNONCE FAITE A MARIE 0-2
PIERRE DE CRAON.
― Ma seule présence par elle-même est funeste.
(Silence.)
VIOLAINE.
― Je ne vous entends pas.
PIERRE DE CRAON.
― N'avais-je pas assez de pierres à assembler et de bois à joindre et de métaux à réduire.
Mon œuvre à moi, pour que tout d'un coup
Je porte la main sur l'œuvre d'un autre et convoite une âme vivante avec impiété ?
; convoieter : désirer avec avidité < cupidité
; impie : qui n'a pas de religion, qui offense la religion; athée, incroyant
VIOLAINE.
― Dans la maison de mon père et de votre hôte ! Seigneur ! qu'aurait-on dit si on l'avait su ? Mais je vous ai bien caché.
Et chacun comme auparavant vous prend pour un homme sincère et irréprochable.
PIERRE DE CRAON.
― Dieu juge le cœur sous l'apparence.
VIOLAINE.
― Ceci restera donc à nous trois.
PIERRE DE CRAON.
― Violaine !
VIOLAINE.
― Maître Pierre ?
PIERRE DE CRAON.
― Mettez-vous là près de ce cierge que je vous regarde bien.
(Elle se place en souriant sous le cierge. Il la regarde longuement.)
VIOLAINE.
― Vous m'avez bien regardée ?
PIERRE DE CRAON.
― Qui êtes-vous, jeune fille, et quelle est donc cette part que Dieu en vous s'est réservée,
Pour que la main qui vous touche avec désir et la chair même soit ainsi
Flétrie, comme si elle avait approché le mystère de sa résidence .
; part f : ce qui revient à qn
; flétrir : 萎れさせる; 烙印を押す < flasque : ぶよぶよ
VIOLAINE.
― Que vous est-il donc arrivé depuis un an ?
PIERRE DE CRAON.
― Le lendemain même de ce jour que vous savez...
VIOLAINE.
― Eh bien ?
PIERRE DE CRAON.
― ... J'ai reconnu à mon flanc le mal affreux.
VIOLAINE.
― Le mal, dites-vous ? Quel mal ?
PIERRE DE CRAON.
― La lèpre même dont il est parlé au livre de Moïse.
VIOLAINE.
― Qu'est-ce que la lèpre ?
PIERRE DE CRAON.
― Ne vous a-t-on jamais parlé de cette femme autrefois qui vivait seule dans les roches du Géyn
Toute voilée du haut en bas et qui avait une cliquette à la main ?
VIOLAINE.
― C'est ce mal-là, maître Pierre?
PIERRE DE CRAON.
― Il est de nature telle
Que celui qui l'a conçu dans toute sa malice
Doit être mis à part aussitôt.
Car il n'est homme vivant si peu gâté que la lèpre ne puisse y prendre.
VIOLAINE.
― Comment donc restez-vous parmi nous en liberté ?
PIERRE DE CRAON.
― L'Evêque me l'a dispensé, et vous voyez que je suis rare et peu fréquent,
Sauf à mes ouvriers pour les ordres à donner, et mon mal est encore couvert et masqué.
Et qui sans moi mènerait à leurs noces ces naissantes églises dont Dieu m'a remis la charge ?
; noces : le Christ et l'Église ~ l'époux et l'épouse
VIOLAINE.
― C'est pourquoi l'on ne vous a point vu cette fois à Combernon ?