「L'ANNOCE FAITE A MARIE (マリアへのお告げ、P. Claudel)」 2 幕、5 場 (2 et fin)
MARA.
― Sus ! ce n'est qu'une séparation de quelques mois.
JACQUES HURY.
― Trop longue pour mon cœur.
MARA.
― Ecoute, Violaine, comme il a bien dit ça !
Eh quoi, ma sœur, si triste vous aussi ? Souriez-moi de cette bouche charmante ! Levez ces yeux bleus que notre père aimait tant. Voyez, Jacques ! Regardez votre femme, qu'elle est belle quand elle sourit !
On ne vous la prendra pas ! qui serait triste quand il a pour éclairer sa maison ce petit soleil ?
Aimez-nous la bien, méchant homme ! Dites-lui de prendre courage.
; nous : ethischer Dativ ?
JACQUES HURY.
― Courage, Violaine !
Vous ne m'avez pas perdu, nous ne sommes pas perdus l'un pour l'autre !
Voyez que je ne doute pas de votre amour, est-ce que vous doutez du mien davantage ?
Est-ce que je doute de vous, Violaine ? est-ce que je ne vous aime pas, Violaine ? Est-ce que je ne suis pas sûr de vous,
Violaine ?
J'ai parlé de vous à ma mère, songez qu'elle est si heureuse de vous voir.
Il est dur de quitter la maison de vos parents. Mais où vous serez vous aurez un abri sûr et que nul n'enfreindra.
Ni votre amour, ni votre innocence, chère Violaine, n'ont à craindre.
; enfreindre : briser, rompre
LA MÈRE.
― Ce sont des paroles bien aimables.
Et cependant il y a en elles, et dans celles que tu viens de me dire, mon enfant,
Je ne sais quoi d'étrange et qui ne me plaît pas.
MARA.
― Je ne vois rien d'étrange, ma mère !
LA MÈRE.
― Violaine ! si je t'ai fait de la peine tout-à-l'heure, mon enfant,
Oublie ce que je t'ai dit.
VIOLAINE.
― Vous ne m'avez point fait de peine.
LA MÈRE.
― Laisse-moi donc t'embrasser.
(Elle lui ouvre les bras)
VIOLAINE.
― Non, mère.
LA MÈRE.
― Eh quoi ?
VIOLAINE.
― Non.
MARA.
― Violaine, c'est mal ! as-tu peur que nous te touchions ? pourquoi nous traites-tu ainsi comme des lépreux ?
VIOLAINE.
― J'ai fait un vœu.
MARA.
― Quel vœu ?
VIOLAINE.
― Que nul ne me touche.
MARA.
― Jusqu'à ton retour ici ?
(Silence. Elle baisse la tête)
JACQUES HURY.
― Laissez-la. Vous voyez qu'elle a de la peine.
LA MÈRE.
― Eloignez-vous un instant.
(Ils s'éloignent)
Adieu, Violaine !
Tu ne me tromperas pas, mon enfant, tu ne tromperas pas la mère qui t'a faite.
Ce que je t'ai dit est dur, mais vois-moi qui ai bien de la peine qui suis vieille.
Toi, tu es jeune et tu oublieras.
Mon homme est parti et voici mon enfant qui se détourne de moi.
La peine qu'on a n'est rien, mais celle qu'on a faite aux autres
Empêche de manger son pain.
Songe à cela, mon agneau sacrifié, et dis-toi : Ainsi je n'ai fait de la peine à personne.
Je t'ai conseillé ce que j'ai cru le meilleur ! ne m'en veuille pas, Violaine ! sauve ta sœur, est-ce qu'il faut la laisser se perdre ?
Et voici le bon Dieu avec toi qui est ta récompense.
C'est tout. Tu ne reverras plus ma vieille figure. Que Dieu soit avec toi !
Et tu ne veux pas m'embrasser, mais je puis au moins te bénir, douce, douce Violaine !
VIOLAINE.
― Oui, mère ! oui, mère !
(Elle s'agenouille, et LA MÈRE fait le signe de la croix au dessus d'elle)
JACQUES HURY rentrant.
― Venez, Violaine, il est temps.
MARA.
― Va et prie pour nous.
VIOLAINE criant.
― Je te donne mes robes, Mara, et toutes mes affaires !
N'aie pas peur, tu sais que je n'y ai pas touché.
Je ne suis pas entrée dans cette chambre.
― Ah, ah ! ma pauvre robe de mariée qui était si jolie !
(Elle écarte les bras comme pour chercher un appui. Tous demeurent éloignés d'elle. Elle sort en chancelant suivie de JACQUES.)
(A suivre) Paul Claudel